Les 3e1 « purge[nt] Bébé » et réécrivent Feydeau !

Dans la salle de spectacle

Onze heures du matin (déjà !) : un très important déjeuner d’affaires est sur le point d’avoir lieu et tous les ingrédients sont réunis pour faire rire les 3e1 de M. Puthod, en sortie aux Tanzmatten de Sélestat, en ce mardi 25 avril : un fabricant de porcelaine espérant vendre des « vases de nuit » (des pots de chambre, en clair…) à toute l’armée française, une maîtresse de maison encore en robe de chambre, une domestique écervelée sur laquelle il ne vaut mieux pas compter, un bébé chauve et barbu (oui, oui, vous avez bien lu, chauve et barbu…), mais surtout constipé (à « purger », comme l’annonce le titre de la pièce), un haut fonctionnaire invité, qui glousse comme la dinde qu’on ne lui servira jamais, en passe d’apprendre que sa femme le trompe (dindon de la farce, on peut le dire…), une belle brochette, en somme !

Extrait de la pièce
Extrait de la pièce de théâtre On purge Bébé de Georges Feydeau, dans une mise en scène d’Olivier Magnier

Cette comédie en un seul acte, créée en 1910, est une satire de la bêtise humaine, comme vous allez pouvoir l’apprécier à travers les travaux d’écriture des élèves, qui ont pris plaisir à réécrire, de mémoire et en îlots, les scènes les plus mordantes de la pièce :

Z’Hébrides, Z’Hébrides…

(Monsieur Follavoine est dans son bureau, cherchant dans son dictionnaire, quand Rose entre.)

ROSE. – Monsieur ! Madame vous appelle !

M. FOLLAVOINE. – Et bien quoi ? Je suis occupé !

ROSE. – Mais elle…

(Il lui coupe la parole.)

M. FOLLAVOINE. – Elle attendra ! Dites-moi, où sont les îles Z’Hébrides ?

(Elle prend le temps de réfléchir et répond en bégayant.)

ROSE. – Bah… C’est Madame qui range… Moi je sais pas où c’est rangé.

(Monsieur Follavoine se moque de Rose, répondant en faisant des gestes avec les mains.)

M. FOLLAVOINE. – Les îles, Rose ! Les îles, vous savez ! De la terre entourée d’eau ?

ROSE (d’un air surpris). – Ah ! Oui ! De la boue !

M. FOLLAVOINE. – Mais non ! Pas de la terre plus de l’eau, là je vous parle de terre entourée d’eau !

(Il continue à se moquer, riant bêtement. Rose est gênée.)

ROSE. – Monsieur… Vous savez… Moi je sors pas souvent…

Chouchou-Chouilloux

M. FOLLAVOINE (barrant la route à sa femme et la cachant aux yeux de Monsieur Chouilloux). – Ne te montre pas en robe de chambre !

MME FOLLAVOINE (en robe de chambre et énervée). – Mais je me fous de ce Monsieur Chouilloux. J’ai pas envie que ce gros boulet vienne déjeuner !

M. CHOUILLOUX (à Monsieur Follavoine). – Qu’est-ce qu’elle dit, votre femme ?

M. FOLLAVOINE (gêné). – Elle a dit qu’il n’y aurait peut-être pas assez de taboulé pour le déjeuner…

M. CHOUILLOUX. – Ben ce n’est pas grave, je prendrai une chaise.

De la porcelaine incassable ?

M. FOLLAVOINE (mettant le pot de chambre en l’air pour le tester en le lançant). – Monsieur Chouilloux, mettez-vous à côté de moi et regardez. Un ! Deux !

M. CHOUILLOUX. – Tou tou tou tou tou tou tou !!!

(Monsieur Follavoine lance le pot chambre, qui se brise. Les deux personnages restent bouche bée.)

M. CHOUILLOUX (comme une statue). – C’est cassé.

M. FOLLAVOINE (lui aussi figé). – Quoi ?

M. CHOUILLOUX. – C’est cassé !

M. FOLLAVOINE. – Oh oui ! C’est cassé…

M. CHOUILLOUX (se baissant par terre). – Ce n’est pas un effet d’optique ?

M. FOLLAVOINE. – Non. C’est bien cassé… Je ne comprends pas ! Car, je vous le jure, c’est la première fois que ça arrive ! Mais je ne suis pas fâché. Ce n’en est qu’une sur mille ! On va tester la deuxième…

Fermer la bouche…

MME FOLLAVOINE (énervée). – Bébé, montre ta langue à Monsieur Chouilloux.

(Bébé ne tire pas la langue.)

MME FOLLAVOINE (tirant la langue pour montrer l’exemple à Bébé). – Tu vois, Bébé, ce n’est pas si compliqué. Allez, Bébé, fais-le !

(Monsieur Chouilloux tire la langue à son tour.)

BÉBÉ (tirant la langue comme un pitre). – EHHH ! EHHH ! EHHH !

MME FOLLAVOINE. – Vous voyez, sa langue est blanche.

M. CHOUILLOUX. – Elle n’est pas si blanche que ça…

MME FOLLAVOINE (agacée). – Sentez donc son haleine !

BÉBÉ (s’approchant de Monsieur Chouilloux). – Hi ! Hi !

M. CHOUILLOUX (dégoûté, avec des haut-le-cœur). – Berk ! Non, ça ira, je vous crois !

MME FOLLAVOINE (insistant). – Allez, Monsieur Chouilloux ! Pour sa santé !

M. CHOUILLOUX (toujours dégoûté et repoussant l’enfant). – EHHH ! Non ! Maintenant ça suffit, je ne veux pas !

… et serrer les fesses !

MME FOLLAVOINE (à son fils). – Prends ta purgation.

BÉBÉ (montrant Monsieur Chouilloux, avec une voix de bébé). – Nan ! J’veux qu’c’est lui !

(Madame Follavoine tend la purgation à Monsieur Chouilloux.)

M. CHOUILLOUX. – Nan, je n’veux pas m’purger !

MME FOLLAVOINE. – Faites plaisir à bébé.

M. CHOUILLOUX. – Nan, je n’suis pas constipé.

MME FOLLAVOINE. – Rooohhh ! Mais vous êtes cocu !

(Monsieur Chouilloux, sans voix et inspirant fortement, boit la purgation.)

BÉBÉ (applaudissant et riant). – Ouiiiiiii !!!

M. CHOUILLOUX (devenant rouge et crispé). – Ça doit sortir !

M. FOLLAVOINE (en mimant). – Serrez les fesses et allez déféquer !

M. CHOUILLOUX. – Je n’peux pas, j’dois garder les fesses serrées.

M. FOLLAVOINE (toujours en mimant). – Faites de petits sauts !

(Monsieur Chouilloux quitte la pièce en faisant de petits sauts. Bruitages de pets.)

M. FOLLAVOINE. – Il s’en est fallu de peu !

Un dentiste, s’il vous plaît !?

ROSE. – On demande Monsieur pour arracher une dent.

M. FOLLAVOINE (surpris). – Dites d’aller voir un dentiste, mais pas moi…

ROSE. – C’est quoi, un dentiste ?

M. FOLLAVOINE (pouffant de rire). – Vous ne savez pas ce que c’est, un dentiste ? (Allant vers le dictionnaire et y recherchant le mot.) Alors… Dentiste… (Épelant le mot.) D… A… N… Ah ! Non, c’est pas possible ! On trouve rien dans ce fichu dictionnaire !

Sont ainsi mises sur scène toutes « nos petitesses, nos prétentions, nos colères, nos fatigues, nos médiocrités, nos enfermements, nos bêtises », assure Olivier Magnier, le metteur en scène. « Feydeau [le dramaturge] nous parle de nous, il nous fait rire de nous, il nous réconcilie avec nous-mêmes. »